Ce texte est le résultat du défi EcritHebdo du 17 juin 2020 qui consistait à écrire à partir de cette image.
Les reptiles avaient choisi l’option collective et lente. Dans leurs débuts, ils avaient beaucoup joué sur les variations nombreuses, et des choses comme se faire pousser des ailerons sur le dos ou un cou démesuré était considéré, au pire, comme des lubies amusantes, alors essayer de voler, pourquoi pas. Bon, le hasard a voulu que l’approche soit stoppée net et les conditions climatiques sérieusement perturbées, et un grand nombre de prototypes de l’époque furent perdus à jamais.
Mais la moindre des qualités des reptiles, il faut le reconnaître, est le sang-froid. Est-ce que la catastrophe les a perturbés ? Non, ils ont juste changé de tactique. Adieu les additions hasardeuses, bonjour les modifications progressives et testées en masse. Une fois saisies les lois du carré et du cube, ils entreprirent de réduire leur taille. Pour la plupart, leurs pattes antérieures étaient déjà trop courtes pour servir à attraper, ils les étirèrent progressivement (les plumes, elles, furent un hasard heureux).
Au bout du compte, les reptiles devenus oiseaux atteignirent la capacité à quitter le sol… Pour s’apercevoir qu’ils avaient basé toute leur stratégie sur la présence continue de l’air, mais que l’air, qui avait sa propre opinion sur la question, s’était ramassé en fine pellicule autour de la planète, de sorte que nos oiseaux ne risquaient pas d’aller bien plus loin de cette façon.
Les mammifères terrestres, qui avaient profité des malheurs des reptiles pour proliférer, adoptèrent une autre stratégie basée sur deux axes. D’une part, plutôt que s’adapter à leur environnement, ils entreprirent d’adapter l’environnement. Ayant compris que pour s’arracher à la planète il fallait se propulser vite et fort, et rapidement convaincus que leurs muscles seuls n’y suffiraient pas, ils construisirent des machines pour pousser à leur place. D’autre part, plutôt qu’essayer de voler chacun un peu, ils optèrent pour ne faire voler que quelques-uns, mais beaucoup. L’approche fut payante, car bientôt, une poignée d’entre eux put en effet s’extraire de l’atmosphère, faire quelques pas tâtonnants dans l’espace, mais la plupart dut retourner au sol (et les rares qui n’y retournèrent pas ne sauraient, avec la meilleure volonté du monde, être considérés comme s’être libérés de la terre natale).
Ce furent les baleines qui l’emportèrent haut la main.
On les vit d’abord quitter les profondeurs pour nager en surface en inhabituelles lignes droites. Puis, lentement, émerger tout en continuant d’avancer. Certaines allaient vers le large, d’autres au contraire droit vers les côtes. On en vit surplomber paresseusement les résidences balnéaires, survoler les arrière-pays, suivre un temps les anciennes voies de chemin de fer, et, pour quelques-unes, même, dériver, nonchalantes, entre les immeubles des villes. Mais surtout, progressivement, elles s’élevaient. Le ciel se piqueta de taches bleues de tailles diverses selon la distance, mais qui toutes montaient, étoiles filantes à l’envers, de plus en plus vite, de plus en plus loin, de plus en plus minuscules, jusqu’à finir par disparaître toutes.
Et on n’a jamais su comment elles avaient fait.