[Discours sur la citation « C’est la peur du temps qui passe qui fait parler du temps qu’il fait » Amélie Poulain]
Le temps est un tantinet complexe pour l’homme et pourtant, il n’est qu’humain. Car si tous les animaux tendent à témoigner d’une conscience de la temporalité, seul l’homme voit le temps comme constant, une ligne droite dont on ne peut s’écarter. Printemps, été, automne, il nous faut plus qu’un cycle de saison. Nous avons besoin d’un point de départ : le Big bang, la création, l’an 0. Tous des marqueurs pour nous permettre de mieux appréhender le monde.
Le temps est tellement essentiel que nous le divisons de plus en plus pour mieux s’organiser. Mois, semaines, jours, heures, minutes, secondes, centièmes ! Toujours plus petit le temps ! Il ne faudrait pas que les hommes soient livrés à eux-mêmes, à leurs propres marqueurs naturels. Rides naissantes, cheveux blancs, peau qui se détend et dos qui s’arrondit. C’est laid un corps qui vieilli, n’est-ce pas ? C’est laid le temps, monstre, ennemi comme le dit lui-même Baudelaire. «- ô douleur ! Ô douleur ! Le Temps mange la vie ». Nous avons créé notre propre destin. En ayant un début, c’est l’assurance d’une fin. Qu’avons-nous donc fait ?
Mais il est trop tard. On ne voit déjà plus ; entourée de brouillard. Alors on refuse de parler du temps. Pire que la mort, il faut vieillir. Ironie du sort, la fin n’est pas soudaine : notre corps nous prévient, annoncée cruelle. *de plus en plus agitée* Surtout ne pas faire remarquer que papy a dû mal à marcher, que mamy répète beaucoup ce qu’on lui dit. Surtout ne pas voir les traits qui se creusent, la bouche qui flétrie, les yeux vitreux. Ne pas remarquer que le corps s’assèche et que peu à peu c’est bien notre squelette que l’on voit transparaître sous cette peau qui s’affaisse !
Non, pas le temps d’y penser. Trop heures. Pas assez pour tout faire. On fait la course et arrivé en haut, le vélo déraille. Qu’est-ce donc cette masse à l’horizon ? Avenir lointain arrivant à vive allure. Si loin de moi de grandir. On fera ça plus tard. Demain. Il pleut demain, nous resterons à l’intérieur. Mais aujourd’hui il fait beau. Accordez-moi encore un jour, un espoir de ne pas avoir à disparaître ! * regarde au-dessus de l’audience* Tiens, les nuages se forment.
Et comme par peur de faire éclater le tonnerre, nous n’haussons jamais la voix pour en discuter pleinement. Non, jamais nous n’avons les vraies conversations. Celles qui font mal. Celles font peur. Celles qui actent notre vie, comme un marque page dans nos mémoires, qui nous font nous dire “Après cela, je ne fus jamais le même”. Si les grandes personnes ne parlent que de géographie, d’histoire et d’économie il faut les excuser, c’est qu’elles ont peur. C’est tellement plus simple de se tourner vers le passé quand autour nous le ciel gronde.
Alors, l’homme, innocemment, lève les yeux au ciel pour ne pas avoir à regarder l’autre en face. « Oh, c’est gris aujourd’hui. Hier pourtant, il faisait beau. » Soulagement, l’autre aussi préfère la pluie au tombeau. « Oui c’est vrai, il y avait plus de soleil, maintenant il pleut. » Pourquoi parle-t-on tant du temps qu’il fait ? Peut-être parce que, comme le temps qui passe, celui-ci affecte inévitablement les hommes. Nous sommes soumis au hasard, chimique ou divin, et l’on peut toujours essayer de prévoir les conséquences mais jamais nous ne pourrons arrêter la tempête ou dévier de demain.
Alors pourquoi faire du temps un sujet tabou, au lieu de la météo ? Pourquoi personne ne répond à l’enfant qui annonce, tout candide, qu’il y a des nuances, « chut ! Ça ne se dit pas ça ! Peu importe si tout le monde a remarqué ! C’est la politesse ! » Peut être que l’éphémère nous rassure. La pluie s’arrêtera, les nuages se disperserons. Future simple, facile à croire. Toujours l’espoir qu’il fasse beau demain, fasse à la certitude, d’être plus vieux d’un jour.